Délibération du 23/11/1935

Beauchamp vote pour l’espéranto

Du début des années 1920 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, des cours d'espéranto ont été régulièrement proposés aux Beauchampois. A l'origine de cette initiative, un fonctionnaire de la ville de Paris habitant la commune : Raoul Bourlier. Elu conseiller municipal en 1934, celui-ci convaincra même ses collègues de voter un voeu pour rendre l'enseignement de cette langue obligatoire à l'école.

Contenu

Lors de sa séance du 23 novembre 1935, le conseil municipal émet un vœu pour « rendre obligatoire dans toutes les écoles, l’enseignement de cette langue auxiliaire, appelée à faciliter le rapprochement des Peuples. » (1) Vœu qui est « confirmé » par une nouvelle délibération lors de la séance du 9 février 1936. (2)

On est en droit de se demander pour quelles raisons l’équipe municipale de Beauchamp, récemment élue lors des élections de mai 1935, a souhaité s’exprimer sur un sujet qui touche d’assez loin (pour ne pas dire pas du tout) l’administration des affaires de la commune ?

 

A l’origine de cette proposition, Raoul Bourlier

Raoul Bourlier a été élu conseiller municipal sur la liste du maire Camille Monard lors de ces dernières élections.  Rédacteur à la Ville de Paris, il réside à Beauchamp au 26 avenue Pasteur. Depuis 10 ans, il dispense bénévolement des cours gratuits de sténographie, de comptabilité… et d’espéranto. Pour son action, le maire a sollicité en sa faveur les palmes académiques qui lui ont été décernées l’année précédente, en 1934. (3)

L’espéranto est une langue qui a été entièrement inventée par Louis-Lazare Zamenhof, un citoyen polonais de langue russe, en 1887. Dans l’esprit de son concepteur, c’est une langue à fonction véhiculaire, simple d’usage et d’apprentissage, qui vise à permettre les échanges et la compréhension entre des locuteurs parlant des idiomes entièrement différents. Dès sa création, elle a connu un certain succès. Sa diffusion a été renforcée dans les années qui ont suivi les grands massacres de la Première Guerre mondiale : les populations sentent le besoin de pouvoir échanger malgré les barrières de la langue pour une meilleure compréhension réciproque et un monde pacifié.

 

Un usage controversé

Le développement de cette langue internationale, qu’on pourrait même qualifier d’apatride, n’est cependant pas du goût de tout le monde, c’est le moins que l’on puisse dire !

C’est ainsi que par une circulaire du 3 juin 1922, le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard a interdit formellement toute propagande en faveur de l’Espéranto dans les écoles et établissements d’enseignement public.

« Les Professeurs et les Maîtres doivent s’abstenir de toute propagande espérantiste auprès de leurs élèves. Les chefs d’établissements sont invités à refuser, d’une manière absolue, le prêt des locaux de leurs établissements à des associations ou des groupements suspects qui s’en serviraient pour organiser des cours ou des conférences se rapportant à l’Espéranto.

Ces groupements, en effet, qui visent surtout l’esprit latin et, en particulier, le génie français, ne cherchent qu’à créer la séparation de la Langue et de la Patrie. Et l’Espéranto, pour eux, devient l’instrument d’action d’un internationalisme systématique, ennemi des Langues nationales et de toutes les pensées originales qui expriment leur développement. » (4)

Comme on le voit, les arrière-pensées idéologiques ne sont pas même voilées. La crainte de voir le français, qui est alors encore la langue officielle de la diplomatie, supplanté par une langue internationale, est prégnante :  certains n’ont-ils pas suggéré d’utiliser l’espéranto comme langue de travail de la toute récente Société des Nations ? Pour d’autres, adopter une langue internationale s’inscrit dans une démarche politique internationaliste dont ils ne veulent pour rien au monde. De là à qualifier ses adeptes de « mauvais patriotes » voire de « traîtres », il y a un pas qui est vite franchi, comme l’atteste ce droit de réponse d’un certain Pierre Cuvillier paru dans la presse :

« Communiste, je suis et ne le cache pas. (...) Les travailleurs allemands, russes, chinois, français, sont mes camarades (...) Mes amis sont partout dans le vaste monde. Nous nous écrivons et nous comprenons car nous avons les mêmes idées et le même but et, internationalistes conséquents, nous pratiquons l’espéranto. (…) ça suffit pour qu’un homme sot, fourbe et lâche, écrive espionnage. » (5)

 

Des cours tous les dimanches

Il ne semble pas que les débats autour de l’espéranto aient atteint à Beauchamp une telle virulence. A partir de 1924, Raoul Bourlier entame son enseignement avec l’appui tacite de la mairie, puisque les cours ont lieu dans les locaux de l’école le dimanche matin.

La presse locale présente le programme des cours dispensés : « La réouverture des cours si intéressants de sténographie et de comptabilité, professés par M. Bourlier, aura lieu (...) à l’école des garçons, suivis, à 11 heures, d’un cours gratuit d’espéranto. (...) Prière de se munir de papier quadrillé de préférence et d’un crayon." (6)

En 1931, le cours d’espéranto compte 12 élèves. L’enseignant regrette que ce cours ait lieu en même temps que le cours d’anglais… qui dit-on a beaucoup de succès. (7) Comme on le sait, un siècle plus tard l’anglais se sera imposé comme la langue de communication incontournable des échanges internationaux !

 

De nombreuses actions promotionnelles

Cela n’empêche pas Raoul Bourlier et ses amis espérantistes de promouvoir l’apprentissage de la langue, se défendant de vouloir éclipser les langues nationales. « Bien que l’espéranto (...) ait été proscrit de l’école, c’est une langue auxiliaire conçue avec une logique absolue, très facile à apprendre, et qui peut rendre les plus utiles services aux voyageurs, aux commerçants, aux sans-filistes, aux sportsmen, aux collectionneurs, aux savants. (8) Il se borne « à faciliter les relations internationales par l’emploi d’un langage commun – commodité qui existe déjà, d’ailleurs, pour la notation de la musique et pour les transmissions télégraphiques. » (9)

Et ils trouvent des alliés : ainsi, la Chambre de commerce de Seine-et-Oise prône son emploi afin de faciliter les échanges commerciaux au niveau international.

La presse se fait l’écho de différentes initiatives nationales voire mondiales. Une conférence est diffusée par TSF (poste de la tour Eiffel) pour vanter « la valeur pédagogique, tant intellectuelle que morale, de l’espéranto, des occasions qu’il offre de rapprochements de peuple à peuple… »  (10)

A la reprise des cours en 1931 à Beauchamp, on annonce que le grand Congrès annuel international se tiendra en 1932 à Paris. « Les six mois que durera le cours seront suffisants pour permettre à ceux qui l’auront suivi régulièrement de s’entretenir sans aucune difficulté avec n’importe lequel des congressistes, de quelque nationalité qu’il soit » (11)

 

Une séance publique à la Salle des Fêtes

Point d’orgue de cette infatigable œuvre promotionnelle, une séance publique d’inauguration des cours publics et gratuits (avec un droit d’inscription tout de même de 20 francs annuels) est organisée le 7 octobre 1934 dans la toute nouvelle Salle des fêtes. Elle est consacrée « à une manifestation de propagande en faveur de l’espéranto organisée sous les auspices de la Fédération espérantiste de la région parisienne. » On souligne que « le concours d’espérantistes étrangers est assuré ainsi que celui de l’Harmonie de Franconville » (12) Quelques jours plus tard, L’Echo pontoisien fait un compte-rendu de cette réunion : 20 personnes étaient présentes. Il remarque que du conseil municipal, seul le maire et son adjoint étaient présents… (13).

Enfin, en 1938, sous les auspices de la municipalité, un groupe espérantiste est constitué à Beauchamp. Les réunions ont lieu les 2e et 4e dimanches de chaque mois de 9 à 11 heures à l’école des garçons. (14)

Il semble que la guerre ait mis un terme aux cours d’espéranto. Raoul Bourlier siègera de nouveau dans le conseil municipal provisoire constitué en 1944, mais ne sera pas présent dans celui désigné par les premières élections d’après-guerre en mai 1945.

Après cette date on perd sa trace et avec lui l’enseignement de l’espéranto à Beauchamp.

Sources :

  1. Délibération n°1939, 23/11/1935 – Archives municipales 1W3
  2. Délibération n°1955, 9/2/36 – Archives municipales 1W3
  3. Courrier du Maire au sous-préfet, 8 mai 1934 – Archives municipales 1W100
  4. L’Echo pontoisien n°28, 13 juillet 1922
  5. L’Echo pontoisien n°15, 11 avril 1935
  6. L’Echo pontoisien n° 39, 25 septembre 1930
  7. L’Echo pontoisien n° 1, 1er janvier 1931
  8. L’Echo pontoisien, n°1, 1er janvier 1925
  9. L’Echo pontoisien, n°38, 17 septembre 1931
  10. La tribune de Seine & Oise, n°1817, 1er février 1929
  11. L’Echo pontoisien, n°38, 17 septembre 1931
  12. Le progrès de Seine & Oise n°38, 29 septembre 1934
  13. N°41, 11 octobre 1934
  14. Le Progrès de Seine & Oise n°19, 7 mai 1938

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